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> Colóquios > X Aniversário do Tribunal Constitucional > La légitimité de la justice constitutionnelle et le principe démocratique de majorité

La legitimite de la justice constitutionnelle et le principe democratique de majorite
Christian Starck


SOMMAIRE

I. Remarques préliminaires
II. La séparation des pouvoirs en tant que garantie de la suprématie de la constitution
III. Le développement du contrôle de la constitutionnalité des lois
IV. Le contrôle de la constitutionnalité des lois et le pouvoir du juge
V. Les exigences envers la structure des normes constitutionnelles
VI. La valeur juridique des différentes sortes de droits
VII. Conclusion


I - Remarques préliminaires

Le Portugal fête la date de naissance de son Tribunal constitutionnel. Ii y a dix ans qu'il fut institué, donc une anniversaire d'enfants.

Le Tribunal constitutionnel portugais est une institution élémentaire de la nouvelle Constitution portugaise dans sa version de 1982 [1] par laquelle, le Portugal s'insère dans la famille des Etats constitutionnels. L'idée principale du constitutionnalisme est qu'une suprématie revient à la constitution qui ne doit pas être dominée par la majorité simple de la législation. C’est pourquoi la Constitution portugaise a instauré dans ses articles 277 et suivants le contrôle de la constitutionnalité des lois par le Tribunal constitutionnel.

Cette décision du pouvoir constituant et du pouvoir législatif — révisant la constitution — est à première vue logique et est généralement reconnue comme légitime. Mais des expériences avec la jurisprudence constitutionnelle dans d'autres Etats nous montrent aussi des dangers pour le principe démocratique de majorité, qui est expressément mentionné dans le titre de ma conférence en confrontation à la légitimité de la justice constitutionnelle.

De quoi s'agit-il? La problématique se révèle, si l’on s'assure de l’histoire assez jeune du constitutionnalisme [2].


II - La séparation des pouvoirs en tant que garantie de la suprématie de la constitution

Le contrôle de l'exercice du pouvoir assuré par le moyen de la séparation des pouvoirs ou des «checks and balances», qui a pour but la garantie de la suprématie de la constitution est objet essentiel de la constitution. Déjà les « leges fundamentales», à plus forte raison plus tard les constitutions, distribuent et limitent le pouvoir d'Etat [3]. Ainsi a-t-on donné d'entrée de jeu à la primauté de la constitution une garantie inhérente au système. Le lien intime entre constitution et séparation des pouvoirs est exprimé clairement dans l’art. 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (1789);

«Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de constitution.»

La Constitution américaine de 1787, qui s'est tout d'abord limitée au droit organisationnel, représente aussi une application de cette idée. Les droits fondamentaux, incorporés déjà auparavant dans les «bills of rights» des Etats fédérés, ne seront incorporés à la Constitution fédérale comme amendements à celle-ci, qu' en 1791. Les possibilités de séparation des pouvoirs sont multiples: un régime présidentiel fonctionne autrement qu'un système parlementaire. Le seul point décisif, c'est de savoir si la séparation des pouvoirs est effective [4].

Lors de la répartition du pouvoir d'Etat, l'indépendance des jurídictions revêt une importante signification. Mais sur ce point, d'importantes différences se font jour. D'après la Constitution américaine (art. III section 2), la compétence des tribunaux s'étend à tous les cas «en droit et en équite»: «the judicial power shall extend to all cases, in law and equity, arising under this Constitution.» A l'opposé, le pouvoir judiciaire en France ne peut pas exercer de contrôle sur la législation et l’ administration, comme il ressort de la Constitution de 1791. En ce qui concerne la soumission sans réserve du juge à la loi, il faut y voir la conséquence du dogme français selon lequel « la loi est l'expression de la volonté générale» [5]. Ce dogme, qui libère pratiquement le législateur de sa soumission à la constitution n'est pas favorable à l’idée de primauté de la constitution. Car, dans ce dogme, la conception absolutiste de la loi, selon laquelle tout le droit découle de la volonté du monarque est appliquée pour la république dans le sens que tout droit découle de la volonté de la majorité de l’Assemblée nationale. Emmanuel de Sieyès a reconnu ce problème et, en 1795, dans une «Opinion pour la Convention nationale sur les attributions et l'organisation du jury constitutionnaire», a demandé «que ce jury veille avec fidélité à la garde du dépôt constitutionnel» [6]. Ce jury, composé de 108 membres, que l’on désigne aussi sous le nom de «Dépositaire-conservateur de l’Acte constitutionnel" est strictement détaché des tribunaux ordinaires, mais est qualifié de «tribunal de cassation dans l'ordre constitutionnel). Cette opinion d'un homme familiarisé avec les questions constitutionnelles montre à quel point il prend au sérieux le caractère normatif de la constitution et sa suprématie.


III - Le développement du contrôle de la constitutionnalité des lois

Alors que les conséquences exposées jusqu'ici du développement constitutionnel dans les Etats constitutionnels d’ inspiration occidentale sont unanimement admises, l’idée exprimée par Sieyès d’un contrôle juridictionnel de la suprématie de la constitution fait aborder un terrain sur lequel, jusqu’à aujourd’hui, les avis sont très partagés.

D’un côté, les tenants du contrôle juridictionnel des lois disent: la juridiction se présente comme garantie de la suprématie de la constitution, car les tribunaux, indépendants, selon la doctrine de la séparation des pouvoirs, seraient qualifiés pour faire respecter les lois. Cette tache sera étendue à la protection des normes constitutionnelles, pour, laquelle les tribunaux seraient particulièrement compétents en raison de leur connaissance dans l'application du droit. Sieyès en est arrivé à demander la protection de la constitution par un, jury constitutionnaire, sur la base de la considération suivante [7]: «Une Constitution est un corps de lois obligatoires, ou ce n' est rien; si c' est un corps de lois, on se demande ou sera le gardien; où sera la magistrature de ce code? Il faut pouvoir répondre. Un oubli de ce genre serait inconcevable autant que ridicule dans l'ordre civil, pourquoi le souffririez-vous dans l'ordre politique? Des lois, quelles qu'elles soient, supposent la possibilité de leur infraction avec un besoin réel de Ies faire observer.»

L'avis opposé se réclame aussi de la séparation des pouvoirs, qui interdit de placer une fonction étatique au-dessus d'une autre. La séparation des pouvoirs exige que toutes les fonctions de l'Etat soient situées sur un même pied d' égalité, selon une relation directe avec la constitution qu'elles auraient le droit d'interpréter et d'examiner selon une propre point de vue [8]. Le danger principal du contrôle juridictionnel des lois consisterait en ce qu'une influence politique puisse être ainsi exercée. Nous reviendrons encore sur cet argument.

Les considérations faites par Sieyès sont influencées par le débat constitutionnel nord-américain, ce qu’atteste une citation d' Alexander Hamilton de 1788 [9]: «Il n'est pas de proposition plus évidemment vraie que tout acte d'une autorité déléguée, contraire aux termes de la commission en vertu de laquelle elle est exercée, est nul. Donc, nul acte législatif, contraire à la Constitution, ne peut etre valable. Nier cela, ce serait affirmer que le délégué est supérieur à son commettant, que le serviteur est au-dessus de son maître.» Hamilton se tourne ensuite vers les cours judiciaires et dit: «L'interprétation des lois est la fonction propre et particulière des tribunaux. Une Constitution est, en fait, et doit etre regardée par les juges comme une loi fondamentale. Dès lors, c'est à eux qu'il appartient d'en déterminer le sens, aussi bien que le sens de toute loi particulière émanant du Corps législatif. S'il se trouve entre les deux une contradiction absolue, celle qui a un caractère obligatoire et une valeur supérieure doit naturellement être préférée [10].

15 ans après l'article d'Hamilton la Cour Suprême des Etats-Unis a, dans l’affaire Marbury v. Madison, fonde sa décision sur ce raisonnement. Le Chief Justice John Marshall se référa à «des principes censés être bien établis, et depuis longtemps» et exposa [11]: «C'est un proposition trop naturelle pour être contestée, que la Constitution influence tout acte législatif qui la contredit; ou bien que le législateur peut modifier la Constitution par un acte ordinaire. Il n'a pas de voie moyenne devant cette alternative, ou bien la Constitution est une loi supérieure à tout, inchangeable par les procédés ordinaires, ou bien elle est au même niveau que les actes législatifs ordinaires, et comme d'autres elle peut être modifiée lorsqu'il plaît à la législature de la modifier. Si la première partie de l' alternative est vraie, alors un acte législatif contraire à la constitution n'est pas une loi! Si la seconde partie est vraie, alors les Constitutions écrites ne sont que d'absurdes tentatives de la part du peuple, pour limiter un pouvoir qui par sa nature est illimitable.»

La garantie et le renfôrcement de la suprématie de la constitution qui a lieu aux Etats-Unis par le contrôle juridictionnel des lois, ne s'est pas traduit dans la pratique des Etats européens au 19eme siècle. En Angleterre, on en reste à la souveraineté du Parlement. En France, les constitutions et les chartes se succédèrent au gré des événements politiques [12]. C’est pourquoi leur primauté n'a pas eu valeur de protection dans la pratique.

Pourtant, dans la théorie générale de l’Etat et du droit en Allemagne, la question du contrôle des lois et de la juridiction constitutionnelle a été discutée. Dans ce débat, Robert von Mohl, est d'un poids tout particulier, parce que sa pensée a suivi une intéressante évolution. Dans son ouvrage sur le fédéralisme des Etats-Unis d' Amérique du Nord, qu'il publia en 1824 à 25 ans, il distingue d'une façon très significative entre les constitutions qui s'appuient sur la souveraineté du peuple et celles qui ont été octroyées ou convenues dans une monarchie [13]. Dans ce qu'on appelle les monarchies héréditaires représentatives, le prince et les représentants du peuple détiendraient ensemble tous les pouvoirs, malgré un acte constitutionnel écrit. Ce point de vue eut beaucoup de partisans en Allemagne. Il trouvait sa justification dans le fait que les représentants du peuple surveillent la constitutionnalité des lois, que le juge est soumis à la loi et par là même non qualifié pour la contrôler, et que les lois ne doivent pas être remises en caue par des contrôles, car sinon il en résulterait la désobéissance et l’anarchie. Dans un écrit postérieur concernant la signification juridique des lois contraires à la constitution [14], von Mohl souligne spécialement la primauté de la constitution en disant: «Le droit du juge de contrôler les lois sous l’angle de leur constitutionnalité repose uniquement sur la proposition selon laquelle les prescriptions de la constitution seraient d'une espèce supérieure de normes obligatoires qu'une loi ordinaire et qu'elles ne sauraient être modifiées ni tacitement, ni expressément par cette dernière.» C'est ici que se sent là connaissance de R. von Mohl de la pratique américaine.

Avec l’arrivée du positivisme, la réserve contre le contrôle des lois s'accrut encore. Paul Laband le rejeta franchement, faute de suprématie de la constitution [15]. Bismarck refusa que la répartition du pouvoir entre la couronne et le Parlement, ainsi qu'entre les chambres du Parlement soit rendue dépendante du jugement d'un tribunal [16]. Apres la première guerre mondiale, le problème du contrôle des lois est revenu à l'ordre du jour de la théorie du droit public, en relation avec les obligations du législateur envers les droits fondamentaux. La vieille controverse a continué [17]. C'était le Portugal qui, déjà en 1911, a introduit sous l'influence de la Constitution brasilienne de 1891 le modèle nord-américain de contrôle judiciaire des lois à l'occasion de chaque application d'une loi par le juge [18].

Les partisans d'un contrôle de la constitutionnalité des lois par une Cour constitutionnelle particulière ont remporté en 1949 une victoire sur leurs adversaires, puisque la Loi fondamentale et les Constitutions des Länder allemands ont introduit la juridiction constitutionnelle et ont expressément admis le contrôle des lois [19]. Le contrôle des lois existe aussi en Italie, en Autriche, d'ailleurs déjà depuis 1920; il a été introduit en Espagne, au Portugal, en Grèce et en Belgique; en France la possibilité du contrôle a priori des normes a été élargie. La Suède et les Pays-Bas ont discuté du problème dans le cadre de leurs révisions constitutionnelles dans les années 70, et se sont déclarés contre l'examen juridictionnelle de la loi [20].

Avec la consolidation du contrôle des lois [21] apparaît un problème qui nous ramène à la constitution. Car la constitution est la mesure pour l'examen des lois. C'est selon la qualité de cette mesure, et selon les rapports du juge avec elle, que les relations entre le Parlement et la justice constitutionnelle seront déterminées en pratique. Les problèmes qui s'ensuivent au plan de la structure constitutionnelle et de I'interprétation de la constitution font l'objet des développements suivants.


IV - Le contrôle de la constitutionnalité des lois et le pouvoir du juge

La garantie de la suprématie de la constitution par un contrôle juridictionnel des lois soulève le problème du pouvoir du juge. Car contrôle signifie pouvoir. Alexander Hamilton s'est déjà occupé de I'argument selon lequel « les tribunaux, sous prétexte de contradiction, pourront substituer leur propre volonté aux intentions constitutionnelles de la législature. Ceci peut aussi bien arriver dans le cas de deux lois contradictoires; la même chose peut arriver encore dans l'application d'une même loi. Les tribunaux doivent déclarer le sens de la loi; s'ils sont disposés à exercer leur volonté au lieu de leur jugement, ils pourront également substituer leur volonté à celle du Corps législatif. Si cette observation prouvait quelque chose, elle prouverait qu'il ne doit pas exister de juges séparés du Corps législatif [22].

Cette argumentation n'a pas convaincu les opposants au contrôle, juridictionnel des lois comme le montrent les pays de tradition constitutionnelle française, qui reconnaissent, en théorie la primauté de la constitution mais qui, lorsqu'on considère leur pouvoir législatif, ne l'assurent pas en pratique. En France pourrant, depuis une trentaine d'années, un contrôle de la constitutionnalité des lois avant leur promulgation est possible devant le Conseil constitutionne [23]; avec cela, la suprématie de la Constitution est très fortement, établie [24]. Le rapport de la commission d'experts en vue de la préparation d'une révision totale de la Constitution fédérale suisse montre à quel point la tradition française originaire est encore vivante [25]. Une forte minorité ,se prononce, selon le rapport, contre l' élargissement prudent de la juridiction constitutionnelle du Tribunal fédéral, c'est-à-dire contre un contrôle des lois fédéra1es à l'occasion de cas concrets: l'élargissement irait à l'encontre du principe démocratique; il placerait le juge au-dessus du Parlement, et même du peuple, et transformerait ainsi la Suisse en un Etat des juges; il politiserait le Tribunal fédéral, surtout au travers de la responsabilité qui lui incomberait dans les domaines sociaux, de la propriété ou économique. Cette argumentation pourrait dériver de Carl Schmitt, qui s' était prononcé, 50 ans plus tôt, en des termes semblables, contre l'introduction d'une cour constitutionnelle qui aurait la compétence de contrôler les lois, car cela conduirait à une juridicisation de la politique [26].

Le fait que quelques Etats constitutionnels développés, qui reconnaissent en théorie la primauté de la constitution mais se refusent à instaurer un contrôle de constitutionnalité des lois, montre que les arguments contre le contrôle des lois sont sérieux. L'importance de la question s'accentue encore si l'on prend en considération le contenu souvent très indéterminé de diverses normes constitutionnelles. C'est ainsi qu'on trouve dans de nombreuses constitutions, particulièrement dans la Constitution portugaise, des objectifs généraux et des promesses qui ne sont pas propres à être utilisés comme mesure pour un contrôle des lois. Les constituants ne savent pas toujours que le droit constitutionnel ne peut pas être formulé n'importe comment, si l'on veut que sa suprématie soit effectivement garantie.


V - Les exigences envers la structure des normes constitutionnelles

La constitution en tant que mesure juridique pour un tribunal constitutionnel qui exerce un contrôle des lois, exige une haute dose de positivité et de clarté ainsi qu'une interprétation disciplinée et retenue de la part du tribunal constitutionnel [27]. La constitution doit être comprise comme une loi d'un ordre supérieur, qui distribue les compétences ainsi que les limites à l'activité des organes de l'Etat. Une forte juridicisation de la constitution est nécessairement liée à l' établissement du contrôle de constitutionnalité des lois. Celle-là est en opposition avec le caractère programmatique de la constitution, qui a pour but, plutôt d'intégrer la population de l'Etat [28], que de donner des instructions obligatoires aux organes de l'Etat. Profitant de cette fonction d'intégration, les hommes politiques en viennent à surcharger la constitution de bonnes paroles et de programmes, dans l' espoir que cela pourrait être utile à la résolution des difficiles problèmes de société. C' est ce que montre la discussion actuelle en Allemagne sur l'incorporation, dans la Loi fondamentale et dans les Constitutions des Länder, d'articles concernant des devoirs étatiques ou même des droits sociaux et culturels.

La suprématie de la constitution, si elle est garantie par une juridiction constitutionnelle, pose des conditions à la structure du droit constitutionnel quant à sa clarté juridique et quant au fait qu'il doit pouvoir être concrétisé [29]. Projets chimériques, châteaux en Espagne n' appartiennent pas à une constitution à laquelle doit revenir la primauté. De plus, des programmes et des proclamations vagues peuvent également causer des dommages, si les juges les utilisent pour lier le législateur à ceux-ci, hic et nunc, comme à un droit rigide. Le caractère proclamatif et programmatique de la constitution est en conflit avec le développement de la constitution comme une loi constitutionnelle juridiquement rigoureuse. Car si les tribunaux utilisent la constitution comme mesure, alors ils auront tendance à interpréter toutes les affirmations de la constitution comme juridiques et par là même à étendre considérablement le contenu juridique de la constitution [30].

L'affaiblissement du Parlement responsable des lois, qui s'ensuit, d'abord imperceptible mais devenant manifeste au cours du temps, a des suites d'une grande porté [31]: Le législateur se trouve privé de son pouvoir d'appréciation dans le cadre de la constitution sous prétexte d'adopter une législation qui découlerait nécessairement de la constitution et aurait pour but de l'exécuter. L'exécution pousse à une optimisation constante; de sorte que, mesurée à la constitution, la loi est toujours inachevée, fragile, a besoin d'etre améliorée au moyen de l'interprétation. il s'ensuit que la loi perd son indispensable fiabilité, son indépendance et son autorité. De même que la lune ne reçoit la lumière que du soleil, la loi ne reçoit, selon ce point de vue, la lumière que de la constitution. Pour le législateur et la politique législative, il n'est donc plus question de considérations raisonnables, y compris d'un point de vue économique ou de technique d'administration. Toute la politique législative ne sera plus légitimée que par le fait qu'el1e satisfait à la constitution. Ou bien l'argumentation politique sera revêtue de dogmatique constitutionnelle. Cela montre le pouvoir d'attraction que peut déployer un tribunal constitutionnel.

Constituant et interprétation juridique de la constitution doivent prendre en considération le fait «que toutes les déclarations sur la signification de la constitution et sur son contenu, sont des déclarations sur une échelle juridique dans le cadre d'une juridiction particulièrement sensible [32]. La suprématie de la constitution, comprise dans un sens strictement juridique, exige une limitation du contenu de la constitution au nom de la libre conception de la politique par le législateur [33].

Cela ne signifie pas que la constitution doit se limiter à des normes d'organisation et à des règles de compétence et de procédure. Relèvent aussi du contenu classique du droit constitutionnel, les droits fondamentaux en tant que limite aux pouvoirs étatiques, c'est-à-dire comme limite à la politique.

De la suprématie peuvent, en outre, participer des directives de la constitution, prescrivant aux pouvoirs étatiques de remplir des tâches déterminées, lorsqu'elles sont conçues de façon suffisamment claire et qu'elles peuvent être exécutées indépendamment de la situation économique. Sinon, il s'agit de simples «propositions programmatiques», qui ne sauraient participer de la suprématie de la constitution en sens strict [34]. La réalisation de ces programmes doit être abandonnée aux appréciations du législateur, dans le cadre du budget [35]; e législateur détermine, en particulier, les priorités, lors de l'exécution des propositions programmatiques de la constitution. Au regard des normes constitutionnelles qui lient directement le législateur, la conviction du juge qu'il est en présence d'une infraction à la constitution doit être suffisamment claire et bien fondée [36]. La doctrine, développée aux Etats-Unis, de la «political-question» doit soustraire le Parlement et le Gouvernement à de vastes contrôles de la Cour suprême et maintenir leur liberté de création. Cette doctrine aboutit fréquemment au même résultat que s'il était procédé à une interprétation restrictive de la constitution [37].


VI - La valeur juridique des différentes sortes de droits

Tous ces arguments ne doivent pas faire illusion sur le fait que, dans le cas concret, la répartition des pouvoirs entre le Parlement et la justice constitutionnelle est tranchée par la façon dont on interprète la constitution. Le pouvoir spécifique de la justice constitutionnelle réside dans sa prérogative d'interprétation.
C'est la raison pour laquelle l'interprétation de la constitution est, dans un Etat qui connaît le contrôle de la constitutionnalité des lois, une affaire hautement délicate. En prennant par example les droits garantis par la constitution, on peut montrer I'influence qu'a leur interprétation sur la répartition des fonctions entre la législation et la justice constitutionnelle.

Nous nous demandons aujourd'hui si les conditions matérielles de la liberté son garanties par les droits fondamentaux. On attribue à l'Etat le devoir de garantir les «conditions de la liberté». Dans ce but la Constitution portugaise garantit des droits économiques, sociaux et culturels. Si le Tribunal constitutionnel déduisait par voie d'interprétation à partir de tels droits des prétentions concrètes, il s'attribuerait une influence sur le budget et ses priorités. Cela conduirait à un établissement quasi-total de la politique budgétaire par la constitution elle-même. Le nombre des droits sociaux et culturels dans la Constitution portugaise embrasse presque toutes les matières de la politique intérieure. A cela s'ajoute que de telles prétentions à des prestations, déduites des droits sociaux, ne sont de loin pas assez précises pour servir de mesure. Le Tribunal constitutionnel devrait déterminer lui-même les critères, ce qui dépasserait sa compétence. A cet égard, il ne faut pas manquer de rappeler que la Constitution portugaise semble prendre en considération le caractère programmatique des droits sociaux [38]. Car l'article 18º al. 1er de ladite constitution dispose que seulement les normes constitutionnelles relative aux droits, aux libertés et aux garanties énoncés dans le 2eme titre (cf. l'art. 17º) sont directement applicables et s'imposent aux entités publiques…Cette disposition de l'art. 18º me semble de caractère spécial vis-à-vis la disposition générale de l'art. 277º, selon laquelle les normes qui enfreignent la Constitution ou les principes qui y sont consignés sont inconstitutionnelles. De celles deux normes constitutionnelles on peut déduire que les droits sociaux etc. du 3ème titre ne sont pas directement applicables et, conséquemment ne gênent pas la discrétion législative du Parlement.

Tout aussi peu que des droits sociaux, on ne peut directement déduire de la garantie constitutionnelle générale de l' égalité le devoir de la législation à supprimer ou à réduire les inégalités de fait dans la société [39]. Une telle conception de l'égalité, dans le cadre d'un contrôle de la constitutionnalité des lois, devrait constamment conduire à un appel du Tribunal constitutionnel au Parlement afin que celui-ci se rapproche de l’égalité de fait entre les hommes. Ceci ne peut être la tâche de la juridiction constitutionnelle. Les constitutions modernes ne s'occupent pas de l'égalisation et de l'amélioration des conditions de vie sociale des hommes en relation avec les droits fondamentaux classiques, mais sous la forme des droits sociaux ou de ce qu'on appelle la garantie de l'Etat social [40]. Celles-ci doivent être concrétisés par la politique selon les possibilités du budget et de l' économie nationale. Par conséquent, ni des droits sociaux ni la garantie de l'Etat social constituent un titre habilitant la justice constitutionnelle à réclamer au Parlement les lois sociales qui ont pour conséquence de nouvelles obligations de l'Etat. Les droits sociaux et le principe de l'Etat social ne contiennent aucun droit fondamental duquel découlent directement des prétentions. Mais ils font fonction principalement de critère de différenciation qui autorise le législateur à des traitements juridiquement inégaux motivés par la politique sociale.

Pour finir, examinons la garantie de l' égalité juridique, qui n' est pas sans poser des problèmes pour ce qui est des relations entre le Parlement et la justice constitutionnelle. Car ce qui est égal et doit donc être traité de façon égale ne se soumet pas à une proposition générale d' égalité. On a souvent essayé de définir l' égalité par rapport à la Justice, ce qui a tout de suite soulevé la question de la définition de la Justice. La philosophie du droit a reconnue qu'on a besoin de points de vue directeurs afin de pouvoir déterminer les indices juridiquement importants à partir de I'infinité des rapports de comparaison possibles. Pour autant que ces points de vue doivent être tirés de la constitution, ce sont eux les mesures autorisées pour le contrôle des lois. Dans la mesure ou la constitution ne contient pas de directives, un recours du Tribunal constitutionnel à la représentation de la Justice et des valeurs qui règne dans la société, qui seraient alors prises comme références pour le contrôle des normes, est interdit. Car quand ces représentations des valeurs peuvent être incorporées quelque part de façon tangible, ainsi dans un Parlement, librement élu, c'est lui qui fait les lois et, par là, dans le cadre du droit constitutionnel, donne à la proposition d' égalité un contenu authentique.


VII - Conclusion

La suprématie de la constitution est une conquête de la culture juridique américano-européenne. La représentation théorique d'une primauté de la constitution se lie avec la volonté du pouvoir constituant de garantir effectivement cette primauté au moyen de la juridiction constitutionnelle. Une primauté effective de la constitution est un fait juridique qui doit rester lié à la répartition des fonctions étatiques entre le Parlement et l'exécutif d'une part et entre Ie Parlement, qui représente le principe démocratique de majorité, et la juridiction constitutionnelle, qui garantit la constitution, cadre et mesure de la politique, de l'autre. Les règles de I'interprétation juridique ne doivent pas être détachée de cette répartition des fonctions. Dans le cas contraire, la suprématie de la constitution et la juridiction constitutionnelle vont épuiser le sol qui les a fait naître.

 

Notas de rodapé:

[1] Constitution de la République Portugaise du 2 avril 1976 dans la version de la loi constitutionnelle No. 1/1982 du 15 septembre 1982 et de la loi constitutionnelle No. 1/1989 du 8 juillet 1989.
[2] Dans les considérations suivantes je m’appui sur le premier chapitre de mon livre « La constitution — cadre et mesure du droit » ,que paraître 1993 dans la collection Droit positif (Economica, Paris).
[3] M. J. C. Vile, Constitutionalism and the Separation of Powers, 1967, p. 266 ss., 119 ss., 176 ss.
[4] Charles-Louis de Mostesquieu, De l’esprit des lois, Livre XI, chap. XX : « Je voudrais rechercher, dans tous les gouvernements modérés que nous connaissons, qu’elle est la distribution des trois pouvoirs, et calculer par là les degrés de liberté dont chacun d’eux peut jouir. »
[5] Cf. Art. 6 Déclaration des droits de l’homme et duo citoyen de 1789.
[6] Emanuel de Sieyés, Opinion sur les attributions et l’organisation duo jury constitutionnaire, proposée de 2 thermidor, prononcée à la Convention nationale le 18 du même mois, l’an III de la République (1795), imprimée par l’Ordre de la Convention nationale, Paris, p.3,20 s.
[7] Sieyès (note 6), p. 3, idem, p. 7 ss.; sur Sieyès, cf. Paul Bastid, L’idée de constitution, 1985, pp. 135-162 ; Paul Bastid, Sieyès et sa pensée, 1970.
[8] Geoffrey Marshall, Constitutional Theory, 1980, p. 103 ss., 109.
[9] The Federalist, No. 78, trad. franc. Le Fédéraliste, LGDJ, Paris 1957.
[10] Ce point de vue d’Hamilton n’était pas de nouveauté pour l’époque. Il reprenait la pratique remontant à Coke des tribunaux américains de l’époque coloniale. CF. Ch. G.Haines, The American Doctrin of Judicial Supremacy, 2 eme éd., 1959, p.88 ss.; Klaus Stern, Grundideen europäisch-amerikanischer Verfassungsstaatlichkeit, 1984, p30 ss. avec références bibliographiques.
[11] Marbury v. Madison, 1 Cranch 137,177 = 2 Law Ed U.S. 60, 73 (1803).
[12] 1791, 1793, 1795,1799, 1814, 1830, 1848, 1852,1875
[13] Das Bundesstaatsrecht der Vereinigten Staaten von Nordamerika, 1874, p. 138, note 1.
[14] Robert von Mohl, Staatsrecht, Völkerrecht und Politik, vol. 1, 1860, p. 66, 81 ss. Sur la base d’un écrt paru en 1852 ; sur l’évolution de von Mohl, cf. Franz-Joseph Peine, Normenkonntrolle und Konstitutionelles System, dans : Der Staat 22 (1983), p.526, note 27 avec références bibliographiques.
[15] Paul Laband, Das Staatsrecht des Deutschen Reiches, 1878, vol. 2, p. 43 ss.
[16] Cité d'apres Klaus Stern, Das Staatsrecht der Bundesrepublik Deutschland, vol. 2, 1980, p. 972.
[17] Cf. l’exposé détaillé chez Helge Wendenburg, Die Debatte um die Verfas- sungsgerichtsbarkeit und der Methodenstreit der Staatsrechtslehre in der Weimarer Republik, 1984, p. 58 ss., 97 ss., 137 ss.; pour l'Autriche cf. Theo Oehlinger, dans: Festschrift für Melichar, 1983, p. 125, 128; cf. également le débat entre Léon Duguit et Maurice Hauriou d'une part et Paul Esmein et R.Carré de Malberg d'autre part, retracé synthétiquement par Stéphane Rials, Les incertitudes de la notion de constitution sous la Vème République, Revue de droit public, 1984, p. 587
[18] Cf. José Manuel Moreira Cardoso da Costa, Die Verfassungsgerichtsbarkeit in Portugal, dans: Christian Starck/Albrecht Weber (sous dir. de), Verfassungsgerichtsbarkeit in Westeuropa, vol. I, 1986, p. 283 (avec références).
[19] Cf. art. 93 al. 1 No.2, 4a, art. 100 de la Loi fondamentale allemande; pour le droit constitutionnel des «Länder», voir la présentation de Wolfgang Heyde, dans: Christian Starck/Klaus Stern (sous dir. de), Landesverfassungsgerichtsbarkeit, vol. 2, 1983.
[20] Cf. Christian Starck, Europe's Fundamental Rights in their newest Garb, Human Rights Law Journal 3 (1982), p. 103, 119 ss.
[21] Mauro Cappelletti/Theo Ritterspach, Die gerichtliche Kontrolle der Verfassungsmäßigkeit der Gesetze in rechtsvergleichender Betrachtung, dans: Jahrbuch des öffentlichen Rechts, vol. 20 (1971), p. 65, 81 ss.; Karl Korinek/Jörg P. Mül1er/Klaus Schlaich, Die Verfassungsgerichtsbarkeit im Gefüge der Staatsfunktionen, dans: Veröffentlichungen der Verejnjgung der Deutschen Staatsrechtslehrer 39 (1981), p. 7 -143; Chrjstjan Starck/Albrecht Weber, Verfassunsgerichtsbarkeit in Westeuropa, 2 volumes, 1986; Alexander von Brünneck, Verfassungsgerichtsbarkeit in den westlichen Demokratien, 1992; Mjchel Fromont, Le contrôle de la constitutionnalité des lois en Allemagne et en France, dans: Gedächtnjsschrjft für Chrjstoph Sasse, 1981, vol. 2, p. 295 ss.
[22] Cf. The Federalist (note 9), No.78.
[23] Cf. François Luchaire, Le Conseil constitutionnel 1980, p. 112 s., 146 s.; Georges Burdeau, Traité de science politique, tome IV, 1984, p. 432.
[24] Cf. L'exposé de Luchaire (note 23), p. 27 ss.; Jean Bouloujs, Le défenseur de l’Exécutif, dans: Pouvoirs 13, 1980, p. 27 ss.
[25] 1977, p.179.
[26] Carl Schmitt. Verfassungslebre, 1928. p. 117 s. Après la guerre, critique en particulier: Ernst Forsthoff, Die Umbildung des Verfassungsgesetzes, dans: Festschrift für Carl Schmitt. 1959, p. 35 ss.
[27] Christian Starck, Die Bindung des Richters an Gesetz und Verfassung, dans: Veröffentlichungen der Vereinigung der Deutschen Staatsrechtslehrer 34 (1976), p. 43, 75 s.; Idem, Die Verfassungsauslegung, dans: Josef Isensee/Paul Kirchhof (sous dir. de) Handbuch des Staatsrechts, vol. VII, 1992; Ernst-Wolfgang Böckenförde, Die Methoden der Verfassungsinterpretation, dans: Neue Juristische Wochenschrift 29 (1976), p. 2089, 2099; Hans Kelsen, Wesen und Entwicklung der Staatsgerichtsbarkeit, dans: Veröffentlichungen der Vereinigung der Deutschen Staatsrechtslehrer 5 (1929), p. 30,69 s., exige la clarté du texte constitutionnel en tant que conséquence de l'admission d’un contrôle constitutionnel des normes.
[28] Rudolf Smend, Verfassung und Verfassungsrecht (1928), dans: Smend, Staatsrechtliche Abhandlungen, 2eme éd., 1968, p. 136 ss., 187 ss.; sur les différentes fonctions de la Constitution, cf. Eckart Klein, The Concept of the Basic Law, in: Christian Starck (sous dir. de), Main Principles of the German Basic Law, 1983, p. 15, 31 s.
[29] Ceci est clairement reconnu par la commission d'experts mise sur pied par les Ministres fédéraux de l'Intérieur et de la Justice «Staatszielbestimmungen/Gesetzgebungsaufträge (=Détermination des buts de l'Etat/devoirs de législation), cf. son rapport, 1983, p. 36 ss.
[30] cf. sur ce point Rainer Wahl, Der Vorrang der Verfassung und die Selbständigkeit des Gesetzesrechts, dans: Neue ZeitSChtift für Verwaltungsrecht 3, 1984, p. 401,403.
[31] Cf. Rainer Wahl, Der Vorrang der Verfassung, dans: Der Staat 20 (1981), p.485.
[32] Rainer Wahl (note 31), p. 486.
[33] Thomas Fleiner-Gerster, Allgemeine Staatslehre, p. 340 s.; Norben Achterberg, Die Verfassung als Sozilgestaltungsplan, dans: Festschrift für Scupin, 1983, p. 293 ss., ne prend pas en considération cette circonstance importante; une discussion sur les conséquences du concept de constitution pour l'activité de la juridiction constitutionnelle fait défaut.
[34] Werner Kaegi, Die Verfassung als rechtliche Grundordnung des Staates, 1945, p. 130 s., demande avec raison de faire ressortir le contenu juridique de la constitution
[35] Pour les limites et les obligations du législateur cf. clairement Hans Kelsen, Reine Rechtslehre, p. 300 ss.; Karl Korinek (note 21), p. 27 ss.
[36] Quant à l'exigence du fondement, voir Starck (note 27), p. 76.
[37] Cette connexité est mise en relief par Louis Henkin, Is there a’Political Question'Doctrine?, dans: Yale Law Journal 85 (1976), p. 597 ss.; Lawrence H. Tribe, American Constitutional Law, 1978, p. 72 ss., 79.
[38] Starck (note 20), p. 115.
[39] Sur ce point cf. le chapitre sur régalité en tant que mesure du droit du livre cité (note 2).
[40] Cf. art. 3 al. 2 Constitution italienne; art. 20 al. l) de la Loi fondamentale; art. 2 Constitution française de 1958; art. 9 al. 2 Constitution espagnole; en outre Gert Nicolaysen, Wohlstandsvonsorge, dans: Festschrift für Hans Peter Ipsen, 1977. p. 485, 492; Starck (note 20), p. 103.114 ss., 117 ss.

 




 



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